Pour la première Coupe du monde de l’histoire organisée en 1930 en Uruguay, l’équipe de France embarque sur un paquebot pour traverser l’Atlantique. Après près de deux semaines en mer sur le « Conte Verde » pour une traversée épique, la France inscrira le premier but de l’histoire de la Coupe du monde.
Comment se rendre depuis l’Europe en Amérique du Sud dans l’entre-deux-guerres ? Réponse : en bateau.
Après avoir accepté l’invitation deux mois auparavant de participer à la Coupe du monde en juillet 1930 – pas de qualification pour ce premier Mondial mais un cercle fermé de nations -, la France embarque sur le « SS Conte Verde ».
Les Bleus montent à bord à Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes) le 21 juin 1930 après avoir pris le train de Paris. Le début de l’aventure avant l’arrivée finale le 5 juillet 1930.
Un paquebot géant de 170 mètres long, 22 mètres de large et possédant trois ponts.
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Jules Rimet et son trophée à bord
A son bord : 2.000 passagers… et trois sélections européennes de football pour disputer ce Mondial. La France donc, mais aussi la Roumanie déjà montée en Italie (à Gênes) et ensuite la Belgique récupérée en Espagne (à Barcelone).
Côté tricolore, il y a les 16 joueurs sélectionnés dont le captaine Alexandre Villaplane, futur SS sous l’Occupation durant la Seconde Guerre Mondiale. Il a fallu négocier avec les employeurs pour un congé spécial de deux mois entre la traversée et la compétition.Dans son livre « Histoires insolites de la Coupe du monde », Frédéric Veille raconte : « Alex Thépot, le gardien de but, est libéré par l’administration des Douanes, que Marcel Pinel, le demi-centre du Red Star qui effectue son service militaire, obtient une permission exceptionnelle comme ‘envoyé extraordinaire auprès du consul de France en Uruguay’ ou encore que l’attaquant André Maschinot est libéré par Peugeot. »
De son côté, le sélectionneur Gaston Barreau n’a pas réussi à se libérer de ses obligations professionnelles à l’Académie de musique.
Sur le paquebot également : le président de la FIFA Jules Rimet avec dans sa valise le trophée éponyme de la Coupe du monde, compétition inventée deux ans auparavant en 1928. Sans oublier trois arbitres du Mondial, dont un Français, M. Balway.
La croisière s’amuse et s’entraîne durant deux semaines
Au cours de ces deux semaines de traversée, s’il y a peu de presse et de médias qui s’intéressent à ce Mondial, de nombreux témoignages de l’époque montrent l’ambiance bon enfant sur le bateau.
Dans son journal de bord, Jules Rimet confie : « Les distractions ne manquent pas à bord. Outre les jeux qui sont assez variés pour satisfaire tous les goûts – même ceux des plus turbulents -, on peut user de la piscine, de la salle de culture physique, de la bibliothèque. Le soir, après le dîner – qui est par lui-même une distraction -, les passagers ont à choisir entre le bal, les petits chevaux, le cinéma et la comédie ».
Les joueurs s’entraînent sur le pont comme le montre cette photo et comme le raconte Lucien Laurent en 2002 à football365 : « L’entraînement sur le bateau, ce n’était pas tellement facile, mais on avait la salle de culture physique. On faisait du contrôle de balle. Il y avait aussi le footing sur le pont du bateau. »
Le joueur Augustin Chantrel raconte pour Match la traversée de l’équipe de France à bord du SS Conte Verde : « La bonne condition physique des joueurs est sauvegardée avec le plus grand soin. Tous les matins, réveil général à 7h, et, sous la direction de Veinante, une sérieuse séance de culture physique se charge d’assouplir les muscles auxquels l’inactivité est fatale ».
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Belote, cinéma, dancing et piscine
Et de préciser : « Le moral de l’équipe est excellent. Pas une minute d’ennui ne vient rappeler la longueur de la traversée. Phonographe, poker, bridge, belote, palette, le matin et l’après-midi ; le soir cinéma à 20h30, dancing à 22h et la journée a filé comme un éclair ».
Pour faire face à la chaleur : « Après Gibraltar, une petite piscine a été aménagée sur le pont ; inutile de dire la joie avec laquelle joueurs et même dirigeants y vinrent chercher un peu de fraîcheur durant les heures chaudes de la région équatoriale. »
Sans oublier la bonne ambiance : « Panosetti, notre sympathique masseur, étant du voyage, comment voudriez-vous que la gaîté ne régnât pas ? Pano, que tous les passagers connaissent sous le nom de « Monsieur Rapahaël » a toujours une blague au coin des lèvres ou une histoire inédite à raconter. Il possède un grand sac, rempli d’anecdotes plus amusantes les unes que les autres et à notre retour en France nous n’en aurons certainement pas atteint le fond ».
Lucien Laurent se souvient dans Le Parisien : lors du footing « certains continuaient derrière les plus belles dames » et qu’entre « les séances de gym, on improvise des batailles de polochons sur une poutre qui traverse la piscine ».
Dans son livre « En sifflant par le monde », l’arbitre belge John Langenus – qui officiera lors de quatre rencontres dont la finale du Mondial 1930 – décrit l’atmosphère à bord du bateau : « Les Français s’étalent réservé un coin du pont. On ne tarda pas à l’appeler Montmartre, parce que l’on y entendait fréquemment les chansons très connues que Maurice Chevalier a lancées dans le monde. »
Et de préciser : « Les équipes s’entraînaient à tour de rôle le matin. »
Et comme le veut la tradition maritime, le franchissement de l’Equateur donne lieu au traditionnel baptême de Neptune : « Nous dûmes tous subir le baptême de la ligne. Neptune à la longue barbe présida en personne la cérémonie. Les festivités durèrent deux jours. Elles commencèrent par des jeux populaires, comme la course en sac, la course aux oeufs, la succion des oignons, qui étaient remplacés, pour la circonstance, par des oranges. Les footballeurs y prirent part avec entrain et plongèrent, sans hésiter, la tête dans la cuve pour en retirer une orange avec les dents. Neptune avec sa brosse à savon et son trident administra le baptême et remit à chacun son attestation. Je reçus à cette occasion le nom de Castore. Je renonçai, bien entendu, à l’adopter.«
Et de poursuivre : « Le soir, grand dîner de gala, rehaussé d’un programme de variétés que les passagers avaient dû composer eux-mêmes. Chaliapine, le célèbre chanteur russe, était à bord. Il était le seul voyageur capable de se produire décemment. Mais il refusa de paraitre au programme. En revanche, les joueurs de football furent des plus actifs. C’était un jeu à leur goût. Les Roumains, travestis en Salomés, exécutèrent un ballet. Il y avait trois Marocains parmi les Français ; ils recueillirent un gros succès avec leurs danses du ventre originaires en droite ligne d’une quelconque rue du Caire. Mais les Français avaient imaginé bien d’autres numéros encore. Ils présentèrent une danse apache et quantité d’autres attractions. »
« Une fête plus ou moins fastueuse », s’amuse Jules Rimet et comme le montre cette photo d’illustration.
Lucien Laurent, premier buteur de l’histoire de la Coupe du monde
Après deux semaines de traversée, le navire est accueilli par plusieurs milliers de personnes enthousiastes dans le port de Montevideo – la capitale de l’Uruguay – le samedi 5 juillet 1930 comme le raconte encore l’arbitre belge John Langenus : « L’arrivée à Montevideo fut sensationnelle. Toute la vaste place devant le quai fourmillait d’une masse jubilante qui nous souhaitait bon accueil au moyen de drapelets. Les autorités de la ville, des ambassadeurs et d’autres personnages de marque étaient au premier rang. On prononça des discours. Et lorsque les joueurs de football de la vieille Europe descendirent à quai, ils furent l’objet d’une énorme ovation. C’était compréhensible. Il avait été très difficile de convaincre les nations européennes d’entreprendre le lointain voyage : celles qui avaient osé, avaient grandi considérablement dans l’estime du peuple uruguayen. »
Fait unique dans l’histoire de la compétition, cette première Coupe du monde se déroule uniquement dans la ville de Montevideo. Et trois stades accueillent les 18 rencontres.
Le tirage au sort désigne la France dans la seule poule de quatre équipes et pour disputer le premier match de l’histoire de la Coupe du monde.
Le match d’ouverture a lieu le dimanche 13 juillet 1930 à 15 heures. Sous quelques flocons de neige, la France et le Mexique s’affrontent pour l’un des deux matches d’ouverture de la compétition devant 4.000 spectateurs. La compo en 2-3-5 : Alexis Thépot dans les buts, Marcel Capelle et Étienne Mattler en défense, Augustin Chantrel, Marcel Pinel et le capitaine Alexandre Villaplane au milieu, puis en attaque Ernest Libérati, Edmond Delfour, André Maschinot, Lucien Laurent et Marcel Langiller.
Lucien Laurent devient le premier buteur de l’histoire de la Coupe du monde. : le Français reprend de volée du gauche un centre de Libérati à la 19e minute de jeu.
Sur le moment, Lucien Laurent ne se rend pas compte de l’importance de ce but historique comme il le raconte dans France Football le 26 décembre 2000 : “On a dû tout juste s’embrasser ou se taper dans la main avant de reprendre le jeu. Sur le coup, je ne me suis même pas posé la question de savoir si c’était le premier but du Mondial. Je n’ai pas réalisé.”
Et de préciser à football365 : « Je ne pensais pas que j’allais entrer dans la légende. Mais tant mieux pour moi. Ce qui est surtout bien, c’est que cela soit un Français qui inscrive le premier but. En l’occurrence moi (rires). Le but ? Il y a un dégagement de Thépot, le gardien de but, sur Chantrel qui jouait arrière central. Puis il y a une balle à Libérati, ailier droit, à cette époque on joue encore le « WM ». Libérati a dribblé son arrière, s’est rabattu et moi, j’avais suivi de l’action, jouant à gauche, j’ai repris la balle de volée dans la lucarne. »
Le Français Lucien Laurent est le premier buteur de l'histoire de la Coupe du monde. Le 13 juillet 1930, la France et le Mexique s'affrontent en match d'ouverture de la compétition, sous quelques flocons de neige, en Uruguay. Il reprend de volée du gauche un centre de Libérati. pic.twitter.com/FiSQrJHUKJ
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Lucien Laurent se confie dans Le Parisien : « C’est ce voyage qui m’a le plus impressionné, résumera Lucien Laurent. Cette traversée, comme le retour, restera mon plus beau souvenir. L’Uruguay, le bout du monde, le temps des copains, c’était La croisière s’amuse. »
Lors d’une interview où on lui demande quel est son meilleur souvenir de l’histoire de la Coupe du monde, il répond modestement à football365 : « La victoire de la France [en 1998]. Mon but, ma foi, ça arrive à tout le monde de marquer un but. »
Les Bleus éliminés dès le premier tour
Les deux autres matches des Bleus sont plus compliqués avec deux défaites par la plus petite des marges. La France s’incline face à l’Argentine (1-0) puis face au Chili (1-0) et est donc éliminée dès les poules.
Pour l’anecdote, lors du deuxième match entre la France et l’Argentine, l’arbitre se trompe et arrête le match à la 84e minute (0-1). Alors que des joueurs sont déjà sous la douche, les deux équipes reviennent sur la pelouse pour jouer les six dernières minutes du match. Lucien Laurent se rappelle : « Après, la partie est interrompue. Puis elle reprend mais ce n’est plus le même match. »
Pour l’anecdote bis, lors du troisième match entre la France et le Chili, la rencontre se déroule devant seulement 2.000 spectateurs alors qu’ils seront plus de 42.000 deux heures plus tard dans ce même stade pour voir Argentine-Mexique. C’est la plus faible affluence officielle de l’histoire de la Coupe du monde.
Ce premier Mondial de l’histoire est remporté par l’Uruguay, le pays organisateur, face à l’Argentine dans une finale tendue. Jules Rimet remet le trophée de la Coupe du monde au président de la Fédération uruguayenne après la finale le 30 juillet 1930.
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Pour le retour en France, les Bleus repartent pour deux semaines de traversée dans l’autre sens à bord d’un autre bateau : le transatlantique « Duilio ».
Avant de revenir à Villefranche-sur-Mer, ils font escale au Brésil notamment à Rio où ils disputent deux matches de gala – non officiels – dont l’un face à la Seleçao (défaite 3-2) le 1er août. La fin des vacances.
By <a href= »//commons.wikimedia.org/wiki/User:CaptainHaddock » title= »User:CaptainHaddock »>Remi Jouan</a> – Photo taken by <a href= »//commons.wikimedia.org/wiki/User:CaptainHaddock » title= »User:CaptainHaddock »>Remi Jouan</a>, CC BY-SA 3.0, Link
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